Dis, tu vis à Sofia depuis quand ? ?	Depuis une dizaine d'années. On a déménagé suite à la mutation de mon père.
T'as reçu la fameuse lettre anonyme ? T'en penses quoi ?	Oui, j'ai en effet reçu cette lettre. Ce que j'en pense ? Ce n'est qu'une futilité. Un coup de promotion. La société veut nous effrayer mais elle n'aura personne, en tout cas, pas moi. Croire à ce genre de blagues c'est bon pour les gens laids et sans aucun cerveau. Pas pour moi. Un monde parfait, on en trouvera jamais. La vie est là avec ses embûches, et bien on encaisse. C'est tout. Les sentiments négatifs font la vie des gens, après tout.
Tu dirais quoi sur ton caractère ?	Je dois dire qu'il est difficile de me citer des défauts. Je suis intelligente, et puis, tellement mature. Vous me trouvez narcissique ? Vous faites donc partie de la catégorie des personnes qui ont des illusions. Parce que je ne me vante pas, je souligne juste la vérité. De toute façon, y'a assez de gens qui m'aiment pour que je ne me plaigne pas, alors.
Sinon, tu aimes quoi dans la vie ?	Mon métier. Je dois dire que c'est une des choses auxquelles je tiens le plus. Vous m'avez vu ? Je suis faite pour ça. Et puis, j'aime beaucoup le théâtre. Au départ, j'en faisais pour m'améliorer en mannequinat mais c'est devenu une vraie passion. Je joue dans quelques pièces quand j'en ai l'occasion. J'adore me regarder dans le miroir aussi, et jouer à "c'est qui la plus belle". C'est un jeu très amusant, vous devriez essayer. Mais je ne vais pas vous expliquer, je suis la seule à comprendre les règles. Ne me demandez pas pourquoi.
Quel est ton rêve le plus fou ?	Devenir célèbre. Depuis que je suis toute petite, je rêve de défiler sur les plus grands podiums du monde, aux côtés des plus grands mannequins du monde. Je sais très bien que je peux y arriver, il me faut juste les moyens que je n'ai pas. Un autre rêve pour moi, c'est de faire carrière dans le cinéma. Jouer dans des films avec Leonardo DiCaprio. Ne me dites pas que vous n'en avez jamais rêvé, mmh ? Mais encore une fois, je suis sûre que je peux y arriver. Leonardo DiCaprio, il me voit et il s'évanouit, je vous le dit. Vous soufflez ? Mais vous êtes aveugle ou quoi ?

Ma vie ? On pourrait la comparer à celle d'une vraie star, si on met de côté les tapis rouges et la célébrité. Je suis sûre qu'en publiant mon autobiographie, je ferai un vrai tabac. Car oui, tout le monde rêve de me ressembler. Ce que je leur dis ? C'est vrai qu'il y a de quoi, mais dans une vie prochaine tu seras peut-être plus beau. J'ai l'impression d'être la seule personne à voir la vérité en face : je suis une fille superbe. Bref. Je suis née le quatorze août mille-neuf-cents-quatre-vingt-sept. On m'a attribué le nom de Elena. Ce prénom vient du grec et signifie éclat de soleil. Mes parents ont bien choisi mon nom. Elena Khloé Caldwell. Je l'imagine bien en haut d'une affiche de cinéma ... enfin, je m'éloigne. Le jour où je suis née il faisait beau. En même temps, un éclat de soleil venait d'arriver dans ce monde donc ... pas étonnant. Ma mère m'aimait tellement. Elle avait démissionné pour rester à mes côtés pendant le reste de sa vie. Si ce n'est pas émouvant. Mon père, du coup, travaillait plus. Je ne le voyais que très peu. Il était tellement occupé par son travail. Mon père est un expert boursier et je ne comprends rien à l'amour qu'il porte pour son travail. Évidemment, il m'aime beaucoup plus que son travail. Enfin, c'est ce qu'il me certifiait. Il disait que j'étais son bijou aux milliers de carats, sa lune, le rayon de soleil de sa vie. J'aimais tellement mes parents. Ils m'aimaient tellement. Ils étaient si aimables. Jamais je ne les avais vus me crier dessus, me faire la morale ou me rouspéter. Non, mes parents me trouvaient parfaite. A l'école primaire, je me demandais bien pourquoi on ne voulait pas jouer avec moi. J'ai très vite compris que c'était parce qu'ils étaient jaloux. Ils ne voulaient pas de moi. Du coup, je passais mes récréations à jouer à la corde à sauter avec ma seule amie. J'étais de deux ans son ainée, mais elle au moins, m'acceptait. C'était la même chose au collège. Mes camardes me riaient à la figure. Je revenais en pleurant de l'école. Je ne l'avais pas raconté à mes parents, je m'inventais des meilleurs amis que mes parents me poussaient à inviter. Les prétextes étaient tous bons : oh il habite très loin et ses parents travaillent beaucoup. Oh, il n'est pas là ce jour-là, il passe le week-end chez sa grand-mère. Ils n'insistaient pas et me disaient qu'ils étaient fiers de moi. Au final, je culpabilisais énormément de devoir leur mentir, mais je ne supportais pas de devoir avouer ma non-intégration qui étouffait toute trace d'amitié. Quand mon père a annoncé, un jour, en rentrant du travail, qu'il avait été promu, mais pour travailler en Bulgarie, j'en fus plutôt satisfaite. Une mutation était le moyen parfait pour me faire des amis. Effacer ma vie et en recommencer une nouvelle. Mais je ne changerais en rien la personne que j'étais, car je savais parfaitement que le problème n'était pas moi, mais les autres. Une fois arrivée là-bas, en Bulgarie ... tout ne s'est pas passé comme je le souhaitais. Les gens éprouvaient la même chose qu'en Irlande. Ils étaient tous pareils. Je me moquais d'eux, traçant une barrière entre eux et moi. Je les méprisais plus que quiconque. Je leur lançais des remarques hostiles, crachait la vérité sèchement. Ils n'étaient que des minables. Ils pouvaient tous aller au diable. Jamais ils ne réussiraient à faire quelque chose de leur vie. Ils resteraient dans leur trou tandis que moi, je brillerais. J'étais franche. Très franche. Mes rares amis me disaient que j'exagérais, mais je certifiais qu'ils avaient tort. Je me sentais tellement supérieure. J'étais supérieure. J'avais toutes les cartes en main pour réussir ce que j'avais entrepris jusqu'à présent. Après les études secondaires, j'ai suivi un programme de mannequinât dans une école spécialisée pendant deux ans. J'ai rapidement intégré une petite agence qui me plaisait beaucoup. J'étais le centre du monde, là. Tout le monde me surnommait Bella, Chouchou, ma chérie ... on prenait soin de moi et j'adorais ça. J'étais à ma place. On me disait que j'étais la meilleure, que j'excellais dans mes poses, dans mes regards. C'était un réel plaisir pour moi. Mais je voulais faire encore mieux. Je me suis inscrite à un cours de théâtre pour améliorer les émotions que je voulais faire ressentir dans mes poses, dans les photos qu'on prenait de moi. Il s'est avéré que le théâtre était une vraie passion. J'aimais cela autant que mon métier. En plus, c'est là que j'ai rencontré l'amour de ma vie. Jamais je n'avais aimé un homme comme celui-là. Un homme qui m'aimait et qui m'appréciait à ma juste valeur. Il s'appelait Nikolaï et dans ses bras, j'étais encore plus belle que d'habitude. J'étais protégée à ses côtés. Et puis, il y a eu cette lettre tellement étrange. Je n'y croyais pas. Je savais que c'était un coup d'une agence commerciale, de la société. Ils voulaient nous faire croire ça ? J'étais dégoûtée de voir que certaines personnes étaient d'accord avec ces écrits misérables. Il ne suffit pas de se lâcher pour que la vie aille mieux. Il faut de la chance aussi. Il faut des atouts, il faut énormément de choses pour réussir. La vie a ses complications, ses embûches, ses joies, ses peines et tout ce qui va avec. C'est ça qui constitue une vie. Ça me fait penser à cette Mina. Une des pires rencontres que j'ai faite depuis le début de ma vie. Elle avait tort sur tout. A chaque fois qu'elle ouvre la bouche, c'est pour dire une bêtise. Et puis, elle est dans l'autre camp. Celui de ceux qui pensent qu'il faut profiter de la vie avant qu'il soit trop tard. Ils sont tous désespérés, c'est moi qui vous le dit. En plus, c'est l'ex de Nikolaï. Je la haïs principalement pour ça. Elle le connait depuis qu'elle est toute petite et le connait mieux que quiconque. Mieux que moi ? Ça m'étonnerait. Nikolaï est à moi. Personne ne peut me l'arracher. C'est la seule personne qui me convient, qui m'accepte. De toute façon, il est dans mon camp. Il me donne raison. Il me soutient. Je l'aime. C'est un élément valable, hein ? Je l'aime, voilà. Et il m'aime. Mes parents m'aiment. Des gens m'aiment et si certains ne sont pas assez matures pour m'aimer eux aussi, je m'en contrefiche. Aujourd'hui, je me considère comme une fille belle, intelligente et mature. Demain, le monde entier connaîtra mon nom. Que rêver de plus ?